Urgences
de Mulhouse : la fin d'une grève inédite

La grève levée aux urgences
à partir du 1er janvier 2021

Un an, huit mois et cinq jours. Jamais un mouvement de grève à l’hôpital Émile-Muller de Mulhouse n’a duré aussi longtemps que celui lancé par le personnel paramédical du service des urgences le 26 avril 2019 et qui vient de trouver son issue après la signature, par l’ensemble des organisations syndicales du Groupe hospitalier de la région de Mulhouse et Sud Alsace (CFDT, CFCT, CGT, FO et UNSA), d’un accord de sortie de grève à compter du 1er janvier 2021.

Le mouvement qui s’est illustré par plusieurs manifestations, dont certaines spectaculaires au printemps et à l’été 2019, a connu un premier tournant à la mi-octobre 2019, après l’annonce du recrutement d’un nouveau chef de service, le Dr Marc Noizet. Il arrivait alors dans un service « excessivement fragilisé » avec pour mission de ramener une stabilité dans une équipe qui a vu se succéder sept chefs différents en huit ans, dont trois au cours de l’année 2019, et a été amputée de nombre de ses praticiens à l’été 2019 après une vague de démissions consécutive « à des conditions de travail dégradées depuis plusieurs mois », expliquaient des urgentistes.

Alors que le service compte habituellement une petite trentaine de praticiens titulaires, ils n’étaient plus que 17 début août, dix début septembre et sept fin octobre. Ils sont au 18 décembre seize, après plusieurs recrutements opérés depuis la fin de l’été.

Le deuxième tournant a été la crise sanitaire. Le 2 mars, avec une «violence inouïe», le service des urgences a été le premier en France sur lequel s’est écrasée la vague Covid-19. « On s’est pris un mur en pleine figure et depuis on n’est jamais complètement ressorti de la crise », expliquent des représentants du personnel paramédical.

« L’hôpital public est toujours en danger,
le Ségur n’a rien changé »

Et puis, reconnaissent-ils, « il y a eu ces derniers mois des avancées sur nombre de revendications ». Au niveau local, celles-ci portaient notamment sur l’augmentation des effectifs paramédicaux, l’achat de matériel adapté et en quantité suffisante et le maintien du service des urgences d’Altkirch. « On a eu du matériel et 24 équivalents temps plein (infirmiers, aides-soignants, brancardiers, etc.) ont été recrutés ». Concernant le maintien de l’autorisation d’ouverture des urgences d’Altkirch, la direction de l’hôpital indique que l’Agence régionale de santé Grand Est l’a « accordée au-delà du 31 décembre 2020 ».

Mais l’accord signé au niveau local « ne marque pas la fin des difficultés », « l’hôpital public est toujours en danger, le Ségur n’a rien changé », préviennent des urgentistes mulhousiens qui restent «solidaires» du mouvement de grève nationale des urgences, parti le 18 mars 2019 de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, dont les revendications sont : « l’ouverture de lits pour désengorger les services d’urgences et ne plus avoir à “hospitaliser” des patients sur des brancards » ainsi qu'«une revalorisation salariale de 300 € nets mensuels en reconnaissance de la spécificité du travail aux urgences ».

Des chantiers pour «  adapter les locaux à l'activité »

Au niveau local, en plus de la reconstruction de l’équipe médicale « qui est toujours en cours », avec une difficulté certaine (dans le Grand Est, près de 25 % des postes d’urgentistes sont vacants à cause du manque de praticiens), plusieurs chantiers architecturaux sont en cours pour «adapter les locaux à l’activité, améliorer les flux de patients et les conditions de travail». Comme l’indiquait Corinne Krencker, la directrice du groupe hospitalier au mois d’août, un centre de soins non programmés verra le jour à proximité du service des urgences. Pour l’heure, on ne sait pas encore exactement comment il fonctionnera, mais son ouverture est prévue au printemps 2021. L’autre chantier lancé porte sur la transformation du service. Elle se fera en deux temps.

Des travaux de réhabilitation du service débuteront à partir de ce lundi 21 décembre et dureront durant toute l’année 2021. « Cette réhabilitation sera suivie d’une restructuration du service des urgences à l’horizon 2024-2025 », indique la direction de l’hôpital. D’après plusieurs sources, cette restructuration se traduira par la construction d’un nouveau service. Ce que ne confirme pas pour l’heure la direction de l’hôpital.

Cécile FELLMANN

Le mouvement de grève lancé le 26 avril 2019 par le personnel paramédical du service des urgences de l’hôpital Émile-Muller de Mulhouse sera levé à partir du 1er janvier 2021.

Les 20 dates-clés du mouvement

Vendredi 26 avril 2019

Le personnel paramédical du service des urgences de l'hôpital Émile-Muller de Mulhouse rejoint le mouvement de grève national des urgences parti de l'hôpital Saint-Antoine à Paris, le 18 mars. Pendant deux heures, l’entrée du service est bloquée par une centaine de soignants qui dénoncent « la dégradation de [leurs] conditions de travail » et demandent « davantage de lits pour hospitaliser les patients et désengorger le service, ainsi que davantage de moyens humains et matériels ».

Vendredi 14, mardi 18 juin, mardi 2 juillet 2019

Les urgentistes multiplient les actions symboliques : après s’être enchaînés devant la plate-forme d’hélicoptère de l’hôpital, ils défilent en cortège funèbre du Moenchsberg vers les bâtiments de la direction situé au Hasenrain.

Vendredi 2 août 2019

Des urgentistes tirent « la sonnette d’alarme » alors que l’hémorragie de médecins, « essorés par des conditions de travail qui se dégradent depuis plusieurs mois », se poursuit au sein du service. Ils étaient 26 en début d’année, ils ne sont plus que 17, après une première vague de démissions.

Mercredi 14 août 2019

Un « audit externe des urgences du GHRMSA », réalisé en juillet 2018 à la demande de l’Agence régionale de santé Grand Est, est transmis à L’Alsace. Le document de huit pages révèle des dysfonctionnements majeurs au sein du service : « des urgences en grande difficulté depuis plusieurs années, avec une succession de chefs de service », « des équipes médicale et paramédicale en grande tension », « une activité de plus en plus importante, influencée par le contexte territorial (fusion, fermeture des urgences de Thann…), avec des périodes de grande tension de plus en plus fréquentes », « des nuits particulièrement dures », « une forte promiscuité des locaux », « des effectifs qui ne sont pas en adéquation avec l’activité, au niveau médical comme paramédical », « une difficulté à trouver des lits, qui crée une pression sur les urgentistes pour rendre l’exercice fluide ».

Lundi 2 septembre 2019

Quatre mois après le début du mouvement de grève, la direction du groupe hospitalier et l’Agence régionale de santé Grand Est s’expriment officiellement pour la première fois sur la situation de crise inédite que traverse le service.

Au cours d’une conférence de presse, la directrice de l’hôpital, Corinne Krencker [qui a pris ses fonction au mois de janvier 2019, ndlr], détaille les mesures de réorganisation du service qui doivent permettre de continuer à « assurer une prise en charge adéquate des urgences vitales » le temps que le service sorte du « creux de la vague ». Afin d’épauler la dizaine d’urgentistes titulaires encore en poste (sur la trentaine nécessaire), des appels pour assurer des gardes ont été lancés à des médecins des hôpitaux de Colmar et Strasbourg, à des médecins généralistes, intérimaires, du Service départemental d’incendie et de secours, du service de santé des armées et de la réserve sanitaire nationale.

Corinne Krencker annonce par ailleurs que l’autre priorité est de trouver un chef de service. En huit ans, le service en a eu sept différents, dont trois durant l’année écoulée. Elle reconnaît également que les locaux actuels ne sont « plus adaptés au volume d’activité ». Selon des urgentistes, « au cours des dix dernières années, on est passé de quelque 45 000 à 55 000 passages par an en moyenne (+ 22 %), alors que la surface au sol du service est la même depuis 1978 ».

Mardi 10 septembre 2019

Nouvelle mobilisation des urgentistes au lendemain des annonces nationales (une enveloppe de 750 millions d'euros entre 2019 et 2022 et un plan de douze mesures) de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, pour tenter de sortir de la crise nationale.

Sac en plastique sur la tête et pancarte dans les mains clamant «Urgences asphyxiées» , ils signifient à la ministre que « ses annonces ne correspondent pas du tout à [leurs] attentes ». « Je crois qu’elle n’a pas compris. Nous, nous avons besoin de mesures immédiates, pas sur trois ans. Il nous faut des lits supplémentaires pour hospitaliser les patients qui le nécessitent et ne pas les laisser attendre des heures sur un brancard, pour désengorger le service. Et il nous faut des médecins, de toute urgence. »

Illustration le week-end précédent : la direction du GHRMSA, dont dépendent les urgences de l’hôpital Émile-Muller, d’Altkirch et de Saint-Louis, a été contrainte de suspendre temporairement le service d’Altkirch « du fait d’une insuffisance de médecins urgentistes », indiquait-elle dans un communiqué.

Concrètement, c’est parce que le médecin qui devait être en poste à Altkirch a dû être rapatrié à Mulhouse pour boucler le planning et assurer a minima « la continuité des soins » dans le plus important des trois centres que le service d’Altkirch a été suspendu.

La sécurité d’un bassin de vie de quelque 270 000 habitants, rien que pour l’agglomération de Mulhouse, 450 000 pour tout le sud du département est en jeu, mais ne peut se faire « qu’aux dépens des autres urgences du groupe ».

Vendredi 20 septembre 2019

Une fermeture temporaire des urgences, faute de médecins en nombre suffisant, est évoquée comme possible en interne. Dès le 9 septembre, une réunion s’est tenue à l’hôpital pour étudier « comment anticiper » une telle situation.

Le 12 septembre, les huit médecins urgentistes encore en poste adressent une lettre à leurs collègues des autres services. Dans celle-ci, ils les sollicitent pour les aider à « assurer des gardes et un service minimum » qu’ils ne sont plus en mesure de couvrir, malgré les aides extérieures. Ils écrivent qu’« une absence de réponse à [leur] SOS risque très fortement d’entraîner la fermeture du service d’accueil des urgences à très court terme. Outre la catastrophe sanitaire que cela représente pour la population [un bassin de vie de quelque 270 000 habitants, rien que pour l’agglomération de Mulhouse, 450 000 pour tout le sud du département], nous mesurons la gravité des conséquences pour l’ensemble des services du GHRMSA. »

Samedi 21 septembre 2019

24 heures après l’évocation de la possibilité d’une fermeture temporaire des urgences, le président de la région Grand Est, Jean Rottner, ancien urgentiste et chef de service à l’hôpital Émile-Muller, annonce son intention de venir renforcer l’équipe médicale pour trois mois à partir du mois d’octobre.

Lundi 30 septembre 2019

Le service fait face à une nouvelle hémorragie : les 17 internes, qui exercent aux urgences depuis le mois de mai dans le cadre d’un stage de six mois, sont tous en arrêt maladie « pour burn-out ».

Mardi 15 octobre 2019

La direction du GHRMSA annonce la nomination
du nouveau chef du service des urgences
de l’hôpital Émile-Muller et du Samu 68.
Il s’agit du Dr Marc Noizet.

Âgé de 51 ans, le Dr Marc Noizet a effectué toute sa carrière comme urgentiste, d’abord à Metz et à Verdun, de 1997 à 2001. Il rejoint ensuite le centre hospitalier d’Épernay, où il est nommé chef de service, chef de pôle et président de la commission médicale d’établissement. Il y reste jusqu’en 2012, avant de prendre la tête du service d’urgences du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne.

Point le plus important de son parcours, au regard de la situation de crise inédite que traverse depuis plusieurs mois le service de l’hôpital Émile-Muller, le Dr Noizet a été l’un des acteurs « des réorganisations architecturale et au niveau de la prise en charge des patients » qu’a connu le service de Châlons-en-Champagne ces cinq dernières années.

À Mulhouse, sa mission est claire : rebâtir le service. Ce défi, le Dr Noizet est « humblement prêt à le relever ». Selon lui, « il faudra quatre à cinq ans pour retrouver un fonctionnement satisfaisant et normal ».

Mardi 5 novembre 2019

Dos au mur, les urgentistes et la direction de l’hôpital réalisent un clip inspiré de la série humoristique « Bref » pour recruter des médecins. Son nom ? « Bref, j’suis devenu médecin urgentiste au GHRMSA ».

Jeudi 14 novembre 2019

Pour la troisième fois après les 6 juin et 2 juillet, des urgentistes mulhousiens se rendent à Paris pour manifester aux côtés de milliers d’autres soignants « pour sauver l’hôpital public ».

Alors qu'ils défilent dans les rues parisiennes, le président de la République, en déplacement à Épernay (Marne), fait un discours sur l’hôpital public et ses difficultés. Discours dans lequel il cite le service d’urgences de Mulhouse.

Jeudi 28 décembre 2019

2 200 € nets, logement, repas et frais de déplacement pris en charge. La rémunération proposée à des médecins intérimaires pour une garde de 24 heures aux urgences de l’hôpital Émile-Muller atteint un nouveau record.

Les précédentes offres d’intérim médical culminaient à 2000 €, pour des gardes du 19 décembre à début janvier. La barre des 2 000 € avait été atteinte une première fois au mois d’août, lorsque, déjà, il s’était avéré difficile de combler les trous dans le planning.

Lundi 2 mars 2020

Après être arrivé aux urgences de l’hôpital Émile-Muller ce lundi 2 mars, le premier patient atteint par le Covid-19 est admis en réanimation en milieu d’après-midi. Ce jour-là, l’hôpital mulhousien bascule dans la pire crise sanitaire de son histoire. Le service des urgences est le premier en France sur lequel s’écrase la vague épidémique. Au total, 2000 patients sont pris en charge par l’hôpital entre le 2 mars et le 11 mai, dont 365 en réanimation.

Mercredi 25 mars 2020

En marge de la venue du président de la République à l’hôpital militaire déployé depuis quelques jours sur le parking de l’hôpital Émile-Muller, des soignants rappellent au chef de l’État dans quel contexte de « difficultés quotidiennes » l’hôpital public encaisse l’épidémie de Covid-19.

Aux fenêtres de l’hôpital, plusieurs banderoles ont été accrochées. « Soignants au front, sans munitions ni valorisation », peut-on y lire. Elles font écho au sentiment exprimé par d’autres soignants : « C’est bien beau de nous dire aujourd’hui qu’on est des héros. Mais on n’est pas des héros ! On a juste une conscience professionnelle et on voudrait pouvoir faire notre travail correctement, avec des moyens, toute l’année. Et maintenant, on aimerait vraiment être écouté et entendu… »

Sous les tentes de l'hôpital militaire, deux représentantes du personnel paramédical du service des urgences ont pu échanger brièvement avec Emmanuel Macron.

Dimanche 26 avril 2020

En pleine épidémie de Covid-19, les urgentistes mulhousiens marquent, ce dimanche 26 avril, la première année de leur mouvement de grève en diffusant une vidéo sur leur page Facebook. Leur message ? « Un an après… un an de grève… un an d’actions… Nous sommes toujours là… malgré les embûches… »

Mardi 16 juin 2020

3000 personnes manifestent à Mulhouse dans le cadre de la journée nationale d’initiatives et de grève post-Covid-19. Comme un symbole, ce sont les urgentistes de l’hôpital Émile-Muller qui prennent la tête du rassemblement mulhousien.

Mercredi 16 décembre 2020

Après une nouvelle réunion entre le personnel paramédical, les organisations syndicales et la direction de l’hôpital, un accord est trouvé pour signer un protocole de sortie de grève et lever le mouvement à compter du 1er janvier 2021.