Une année en pointillés pour
le Ballet du Rhin

Bruno Bouché : « En 2020, on a eu l’impression de tourner en rond »
Comment résumer cette année pour le Ballet du Rhin ?
Compliquée ? Comme pour tout le monde en fait. J’avoue qu’on m’avait prévenu du premier confinement dès le mois de janvier, pendant qu’on finissait de créer Arsmondo, qu’on n’a jamais pu jouer. On sait comment Mulhouse a été touchée lors de la première vague. Nous, on a vécu les premiers temps en se disant, bizarrement, qu’on allait pouvoir continuer, on y allait et puis on s'arrêtait… Avec Alain Perroux (le directeur de l’Opéra national du Rhin), on a décidé très vite de mettre en place le télétravail, avant beaucoup. On avait annulé tous les spectacles et fermé avant tout le monde aussi… Après, il fallait inventer le lien avec les danseurs. J’ai eu envie de tenir la compagnie malgré tout ça. Au début, il a fallu aller les chercher. Certains matins, avec le maître de ballet, on n’était pas très nombreux à la classe virtuelle. Mais on a continué. C’est vrai que c’est difficile de ne pas avoir de perspectives pour des jeunes danseurs, souvent à des milliers de kilomètres de leur famille.
Comment avez-vous géré le reste de l’année ?
Paradoxalement, c’est le déconfinement qui aura été le plus compliqué. C’était une sacrée épreuve d’imaginer des protocoles sanitaires. On en a passé des heures à réfléchir à tout ça, ce qui nous a permis de reprendre le chemin des studios dès juin. On était content de retravailler et de pouvoir remonter sur scène dès juin, même si ce n’était pas complètement satisfaisant artistiquement. Ceci dit, d’avoir anticipé le test systématique de la compagnie nous a surtout permis de pouvoir reprendre les répétitions rapidement et de remonter Chaplin en septembre. Les danseurs ont été supers. J’ai aimé me sentir en chef de navire d’une équipe qui montrait une vraie envie d’être ensemble. Ils ont pris beaucoup sur eux : reprendre le travail en studio avec les masques, dans les conditions qu’on leur imposait, ce n’était pas si simple. Heureusement qu’on a réussi à faire Chaplin et Spectres d’Europe : ça nous permet de gérer les frustrations des annulations notamment. En 2020, on a eu l’impression de tourner en rond. Il faut être patient. C’est comme une année zéro qu’on annule presque de mars à mars. Faut qu’on sorte du marasme ambiant, faut qu’on trouve la brèche…
Est-ce que le premier projet de 2021, Les ailes du désir, ne pourrait-il pas être cette brèche ?
Oui, Les ailes du désir, c’est ma brèche. C’est beaucoup de pression, mais surtout beaucoup de bonheur. On trouve du sens à ce que nous faisons. C’est un vrai symbole d’espoir cette thématique de l’ange. Quand je suis dans la création, je ne pense plus à la pandémie. J’y mets la même énergie que si je devais rendre un livre à l’imprimeur. En fait, on vit comme si on allait le danser en janvier. J’aimerais déjà qu’on puisse faire la résidence à Strasbourg qui doit précéder sa création sur scène. Si on ne le crée pas le 13 janvier à Strasbourg, on fera la première à Mulhouse ou sinon à Colmar. En tout cas, ce ballet ne sera pas capté pour la télévision sans avoir vécu sur scène. Quitte à ne pas le danser cette année. On est en pleine création d’un objet artistique qui me donne de l’espoir. On voudrait prendre le temps de le travailler jusqu’au bout. On a commencé par poster des bulles (comme ça avait été fait pour Yours Virginia ; là, ce sont des petites ailes d’ange qui sont installées un peu partout dans Mulhouse, ndlr).
Propos recueillis par Isabelle Glorifet

























« Yours, Virginia » est la première pièce de l'année 2020. C'est création de Gil Harush que les spectateurs alsaciens avaient découvert en 2018, avec « The heart of my heart ». Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
« Yours, Virginia » est la première pièce de l'année 2020. C'est création de Gil Harush que les spectateurs alsaciens avaient découvert en 2018, avec « The heart of my heart ». Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

Le ballet était dansé sur de la musique live, avec la complicité de l’Orchestre symphonique de Mulhouse et du pianiste du ballet, Maxime Georges. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
Le ballet était dansé sur de la musique live, avec la complicité de l’Orchestre symphonique de Mulhouse et du pianiste du ballet, Maxime Georges. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

« Yours, Virginia » nous plonge avec une grande sensibilité dans l’univers de Virginia Woolf. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
« Yours, Virginia » nous plonge avec une grande sensibilité dans l’univers de Virginia Woolf. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

Voici les premières et dernières images de l'ultime répétition de la création signée Béatrice Massin, « Le joueur de flûte ». La pièce n'a pour l'instant jamais été dansée sur scène. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
Voici les premières et dernières images de l'ultime répétition de la création signée Béatrice Massin, « Le joueur de flûte ». La pièce n'a pour l'instant jamais été dansée sur scène. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

Béatrice Massin a lancé le travail sur ce ballet au printemps 2019. « J’ai travaillé tout l’automne sur les musiques. C’est un long temps de germination… » Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
Béatrice Massin a lancé le travail sur ce ballet au printemps 2019. « J’ai travaillé tout l’automne sur les musiques. C’est un long temps de germination… » Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

D’ici une saison ou deux, « Le joueur de flûte » viendra charmer le public mulhousien. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
D’ici une saison ou deux, « Le joueur de flûte » viendra charmer le public mulhousien. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

Le ballet de Mario Schroder, "Chaplin", a été redansé sur les scènes alsaciennes en septembre. Photo L'Alsace/Darek Szuster
Le ballet de Mario Schroder, "Chaplin", a été redansé sur les scènes alsaciennes en septembre. Photo L'Alsace/Darek Szuster

Après les premières représentations à Strasbourg, les danseurs avaient dû annuler deux spectacles. Ils ont repris "Chaplin" à Mulhouse mercredi 16 et jeudi 17 septembre. Photo L'Alsace/Darek SZUSTER
Après les premières représentations à Strasbourg, les danseurs avaient dû annuler deux spectacles. Ils ont repris "Chaplin" à Mulhouse mercredi 16 et jeudi 17 septembre. Photo L'Alsace/Darek SZUSTER

Entrée au répertoire du Ballet du Rhin en 2018, Chaplin est une chorégraphie qui avait été créée par Mario Schröder en 2010 à Leipzig . Photo L'Alsace/Darek Szuster
Entrée au répertoire du Ballet du Rhin en 2018, Chaplin est une chorégraphie qui avait été créée par Mario Schröder en 2010 à Leipzig . Photo L'Alsace/Darek Szuster

Le ballet évoque, au fil des tableaux, la vie tumultueuse du cinéaste et comédien au cœur d’une époque non moins tumultueuse. Photo L'Alsae/Darek Szuster
Le ballet évoque, au fil des tableaux, la vie tumultueuse du cinéaste et comédien au cœur d’une époque non moins tumultueuse. Photo L'Alsae/Darek Szuster

Pour la soirée Spectres d'Europe#3, Bruno Bouché avait choisi de reprendre Bless ainsi soit-IL, un duo qu'il avait créé pour sa compagnie voilà quelques années, mais entré au répertoire du ballet en 2018. Photo L'Alsace/Darek Szuster
Pour la soirée Spectres d'Europe#3, Bruno Bouché avait choisi de reprendre Bless ainsi soit-IL, un duo qu'il avait créé pour sa compagnie voilà quelques années, mais entré au répertoire du ballet en 2018. Photo L'Alsace/Darek Szuster

Les deux danseurs étaient accompagnés musicalement par La Chaconne de Bach, interprétée au piano par Maxime Georges en live. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
Les deux danseurs étaient accompagnés musicalement par La Chaconne de Bach, interprétée au piano par Maxime Georges en live. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

Le superbe duo pour deux danseurs d'Angelin Preljocaj, Annonciation, a fait son entrée remarquée au répertoire du Ballet du Rhin. Photo L'Alsace/Darek Szuster
Le superbe duo pour deux danseurs d'Angelin Preljocaj, Annonciation, a fait son entrée remarquée au répertoire du Ballet du Rhin. Photo L'Alsace/Darek Szuster

L’archange Gabriel annonce à Marie qu’elle va donner naissance. L’annonciation est traitée là comme une confrontation. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
L’archange Gabriel annonce à Marie qu’elle va donner naissance. L’annonciation est traitée là comme une confrontation. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

Le duo alterne entre une grande légèreté ou douceur et un rapport charnel presque violent. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
Le duo alterne entre une grande légèreté ou douceur et un rapport charnel presque violent. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

Toujours dans cette soirée Spectres d'Europe, Une création signée Alba Castillo, Poussière de terre. Photo L'Alsace/Darek Szuster
Toujours dans cette soirée Spectres d'Europe, Une création signée Alba Castillo, Poussière de terre. Photo L'Alsace/Darek Szuster

Le ballet évoque le temps qui passe avec le sable qui s'écoule, certes, mais aussi la force du groupe. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
Le ballet évoque le temps qui passe avec le sable qui s'écoule, certes, mais aussi la force du groupe. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

Alba Castill est une jeune chorégraphe espagnole installée à Bâle. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
Alba Castill est une jeune chorégraphe espagnole installée à Bâle. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

Pour clore l'année, deux danseurs sont devenus chorégraphes autour de la figure imposée de Mozart : Rubén Julliard et Marwik Schmitt. Photo L'Alsace/Dom Poirier
Pour clore l'année, deux danseurs sont devenus chorégraphes autour de la figure imposée de Mozart : Rubén Julliard et Marwik Schmitt. Photo L'Alsace/Dom Poirier

Les deux ballets devaient être dansés dans le cadre du programme jeune public, à Colmar pour commencer. Ils ont été enregistrés pour Arte concert et les réseaux sociaux de l'Opéra national du Rhin. Photo L'Alsace/Dom Poirier
Les deux ballets devaient être dansés dans le cadre du programme jeune public, à Colmar pour commencer. Ils ont été enregistrés pour Arte concert et les réseaux sociaux de l'Opéra national du Rhin. Photo L'Alsace/Dom Poirier

Si la situation sanitaire s'améliore et que les salles spectacles rouvrent leurs portes, il sera possible de découvrir ce spectacle à Mulhouse et Ostwald. Photo L'Alsace/Dom Poirier
Si la situation sanitaire s'améliore et que les salles spectacles rouvrent leurs portes, il sera possible de découvrir ce spectacle à Mulhouse et Ostwald. Photo L'Alsace/Dom Poirier
Dans la peau de Virginia Woolf
« Yours, Virginia » est signée Gil Harush, un jeune chorégraphe israélien qui vient pour la deuxième fois à Mulhouse.
« Verrouillez vos bibliothèques si vous voulez, mais il n’y a pas de porte, pas de serrure, pas de verrou que vous puissiez poser sur la liberté de mon esprit. » Cette citation de Virginia Woolf est le cœur même du prochain spectacle du Ballet de l’Opéra national du Rhin. « Cette pièce n’est pas une biographie. Ce que je souhaitais, c’était de donner une opportunité de se mettre dans les conditions émotionnelles d’une femme comme Virginia Woolf », explique Gil Harush, le jeune chorégraphe israélien qui crée pour la 2e fois pour le Ballet du Rhin , après The heart of my heart en 2018. Ce n’est pas non plus une pièce sur la dépression, même si l’état psychologique fragile de l’auteure britannique la traverse. « C’est plus le mouvement instable entre les humeurs que j’ai voulu interroger », ajoute-t-il.
Gil Harush s’est immergé dans l’œuvre et tout ce qu’il a pu trouver sur l’auteure anglaise, depuis près de dix ans. « J’ai aussi puisé l’inspiration dans le film The hours. Je suis très intéressé par ce qu’elle représente. » Ce qu’elle dit et la manière dont elle pensait sa vie. « La liberté qu’elle vivait et qu’on a tous peur de vivre. Elle écrivait, vivait voilà soixante-dix ans et elle était si libre… Je ne peux pas imaginer ce que c’est d’être une femme, je ne peux pas prétendre savoir ce qu’étaient ses conditions de vie. Mais j’ai cherché les sensations. »
Un projet né en août 2018
La genèse de Yours, Virginia a été longue. Gil Harush a proposé ce ballet à Bruno Bouché, directeur artistique du Ballet du Rhin, en août 2018. « J’ai commencé par la dramaturgie musicale. On a travaillé beaucoup avant d’arriver à l’atmosphère, aux lumières, aux couleurs. Quant aux costumes, je les ai créés moi-même, comme d’habitude. C’est une pièce que je ne pourrais pas faire ailleurs. Bruno a réalisé que peu de gens connaissaient Virginia Woolf. C’est pour ça que je lui ai proposé ma pièce. Il a vraiment compris mon univers artistique. »
Gil Harush se sent « comme à la maison » au sein du Ballet du Rhin. « J’aime travailler avec des danseurs de ballet. Je veux la virtuosité de ces beaux corps sans limites. Je veux voir la technique… et la casser. Ici, je n’ai jamais eu l’impression de travailler. Les danseurs ne sont pas des soldats, ils se sont montrés très ouverts avec moi. » La pièce créée pour les 30 danseurs de la compagnie s’annonce d’une grande sensibilité. Comme la précédente, d’ailleurs…
I.G.



« Le Joueur de flûte »,
éphémère ballet
Ce jeudi 12 mars, les danseurs du Ballet du Rhin auront offert une prestation unique et privée de la nouvelle création jeune public, signée Béatrice Massin, « Le Joueur de flûte ». Le ballet sera reprogrammé un jour. Mais plus tard, après le Covid-19…
L’ambiance était bien tristounette dans ces couloirs du Centre chorégraphique national de Mulhouse, jeudi. Des bureaux vides, des couloirs et des studios vides, sauf un. Au studio B, la musique se fait entendre. Là, une dizaine de danseurs font le premier (et dernier) filage de la nouvelle création du Ballet du Rhin, Le Joueur de flûte , sous l’œil attentif et résigné de la chorégraphe Béatrice Massin. Des mois qu’elle travaille sur son ballet, des mois qu’elle imagine ce qu’il sera. Des semaines qu’elle répète avec les danseurs.
Et jeudi vers midi, la décision tombe : l’Opéra national du Rhin (ONR) suspend toutes ses activités et annule toutes les représentations à venir. Dont une des plus proches, les 27 et 28 mars, Le Joueur de flûte. Ce spectacle devait faire partie de la Quinzaine de la danse , organisée en partenariat par l’Espace 110 et la Filature. Une quinzaine dont aucun spectacle n’a malheureusement pu être offert au public à cause des restrictions liées au coronavirus.
Dans une saison ou deux
« C’est une grande tristesse pour moi », confie Béatrice Massin, chorégraphe spécialisée dans la danse baroque , qui était déjà venue par deux fois à Mulhouse précédemment. Le filage, c’est la première version finie d’un spectacle, sans costumes, décors et lumières. « La semaine prochaine, on devait commencer à travailler sur la scène du théâtre. Mais c’était déjà compliqué avec les techniciens de Strasbourg qui ne pouvaient pas venir à Mulhouse », ajoute la chorégraphe. Les événements se sont un peu précipités en cette fin de semaine. « Déjà, nous avions de la chance que personne ne soit tombé malade… »
Les costumes, déjà créés spécialement par les ateliers de l’ONR, retourneront dans un lieu de stockage jusqu’à ce que Bruno Bouché, directeur artistique du Ballet du Rhin, puisse trouver une nouvelle date de représentation. « C’est compliqué parce que la saison prochaine est déjà bouclée », signale-t-il. « Mais j’ai hâte de voir cette production, dans une saison ou deux peut-être. J’étais heureux de faire découvrir la danse baroque aux danseurs. Et le spectacle promettait une belle exigence, une vraie ambition de qualité pour un jeune public. »
Télétravail pour les uns, petits groupes pour les autres
Le Ballet du Rhin a dû s’aligner sur les dispositions prises par la maison mère, l’ONR. « On avait anticipé mais ça devenait difficile. On a décidé de poursuivre le travail avec les danseurs, mais en réduisant la taille des groupes. On démultipliera les classes. Un danseur, pour garder son niveau d’excellence, doit travailler tous les jours, mais pas chez lui… L’administration du ballet, lui, se mettra en télétravail, sauf les cadres. Nous devons continuer l’entraînement pour la prochaine création notamment, ainsi que pour la reprise de Chaplin à Lyon en mai », avance Bruno Bouché. La vie continue, étrangement, sans perspectives, mais en dansant.
I.G., le 15 mars 2020

Voici les premières images de la dernière répétition de la création signée Béatrice Massin, « Le joueur de flûte ». Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
Voici les premières images de la dernière répétition de la création signée Béatrice Massin, « Le joueur de flûte ». Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

Ballet jeune public ne signifie pas simplicité. En revanche, la chorégraphe a glissé des éléments qui devraient plaire aux plus jeunes. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
Ballet jeune public ne signifie pas simplicité. En revanche, la chorégraphe a glissé des éléments qui devraient plaire aux plus jeunes. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER

D’ici une saison ou deux, « Le joueur de flûte » viendra charmer le public mulhousien. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
D’ici une saison ou deux, « Le joueur de flûte » viendra charmer le public mulhousien. Photo L’Alsace /Darek SZUSTER
Le Ballet du Rhin avance masqué
Les danseurs du Ballet du Rhin sont les premiers de centres chorégraphiques nationaux à rechausser les chaussons et retrouver leur studio de Mulhouse. Dans des conditions sanitaires devenues très strictes.
Dès l’entrée, on vous prévient. Ici, on porte un masque, mais homologué, pas celui fabriqué par ses soins. Le Centre chorégraphique national de Mulhouse, passage du Théâtre, a mis en place un protocole sanitaire très strict depuis ce lundi 18 mai, condition sine qua none d’une reprise de l’activité en toute sécurité. « Nous sommes le premier ballet de France à pouvoir reprendre, grâce aux agents municipaux, à la Ville et à notre direction, se réjouit Bruno Bouché, directeur artistique du Ballet du Rhin. Nous avons la chance d’avoir des locaux entièrement dédiés à notre activité, avec plusieurs studios. C’est grand, on peut faire en sorte que les danseurs ne se croisent pas. »
Après l’étape du masque, le régisseur, Boyd Lau, prend la température de toutes les personnes qui entrent. « Aucune donnée n’est conservée », rassure Bruno Bouché. Des petites croix grises scotchées au sol indiquent les distances à respecter. Chacun se déchausse ou met des surchaussures. Des portants accueillent les vêtements de chacun des danseurs : « Ils n’ont plus accès à leurs loges, c’est trop petit pour qu’on puisse faire respecter la distanciation, les douches ne sont plus accessibles non plus », précise Bruno Bouché, directeur artistique du Ballet du Rhin. Des poubelles sont dédiées aux lingettes ou mouchoirs, des bacs recueillent les flacons de gel hydroalcoolique distribués à chaque danseur. Les sacs personnels sont mis dans des sacs-poubelles, les chaussons, dans des sacs de congélation où ils restent 24 heures après usage. À chaque fin de cours, le studio est aéré et désinfecté, du sol aux barres. Une grosse contrainte nécessaire. « Il n’y a pas de risque zéro, mais au moins, c’est très bien organisé pour qu’on soit rassuré », explique Céline Nunigé, danseuse soliste au Ballet de l’Opéra national du Rhin.
Une reprise en douceur

Depuis le début du confinement, le 16 mars, aucun des 32 danseurs n’a pu revenir dans les locaux. Avant cette journée de reprise officielle, tous ont pu tester les nouvelles conditions pendant deux jours la semaine passée. Ils ont été scindés en trois groupes qui alternent dans la journée mais ne se croisent pas. Ils reprennent ainsi leurs marques à huit dans le grand studio, auxquels s’ajoutent le maître de ballet et le pianiste, tous masqués. Des masques en lin fabriqués par les ateliers de l’ONR.
Les exercices ont été adaptés à cette contrainte : « Les cours ne durent qu’une heure et j’essaye de faire des exercices moins longs pour que les danseurs puissent avoir du temps pour souffler. C’est un peu compliqué de s’habituer aux masques quand même », confie Claude Agrafeil, maître de ballet. Ce que confirme Céline Nunigé : « Quand le masque se plaque sur la bouche, on perd vite son souffle. L’apport en oxygène est un peu réduit, il faut être vigilant. Pour l’instant, c’est une heure par jour, mais petit à petit, on va augmenter. On a la grande chance d’avoir plusieurs studios. On peut faire travailler plusieurs groupes en même temps. On pourra peut-être bientôt retravailler des solos ceci dit. »
L’aspect artistique attendra
« On rééquilibre son corps, même si on n’a pas arrêté vraiment l’activité, précise Valentin Thuet. J’ai découvert plein d’autres choses pendant le confinement, testé d’autres cours. » Les danseurs suivaient d’ailleurs quotidiennement un cours assuré par Bruno Bouché , via l’application Zoom. « Mais on y va doucement quand même. Ici, on a un sol spécial pour la danse. Chez nous, on dansait sur un praticable mais parfois posé sur du carrelage. Ce n’est pas pareil pour les articulations et les muscles. Il faut faire attention à ne pas se blesser à la reprise », ajoute Valentin Thuet. C’est un des aspects sur lequel insiste le protocole de reprise préparé par le docteur Audrey Lucero, médecin du sport.
Quant à l’aspect artistique, les danseurs devront un peu patienter pour retrouver les répétitions et l’ambiance de création si propre à leur métier. Personne ne sait pour l’heure quand pourra reprendre le travail chorégraphique, notamment pour préparer la nouvelle saison annoncée ce vendredi 15 mai. Qu’importe, l’adrénaline, elle, pointe déjà. « On avait l'excitation de nous revoir, même s'il faut gérer la frustration des gestes barrières. Mais que c'est bon pour le moral de revenir », lance, dans un cri du cœur, Céline Nunigé.
I.G., le 19 mai 2020



Mulhouse : les anges, les spectres, le temps dans Spectres d'Europe#3
Pour ce troisième opus du programme Spectres d’Europe, le Ballet du Rhin plonge dans les mythes et questionne la notion du temps.
Ils étaient les premiers danseurs d’un Centre chorégraphique national à retrouver les studios après le confinement. Ils étaient également les premiers danseurs d’un CCN à remonter sur scène mi-septembre avec Chaplin. Les danseurs du Ballet du Rhin avaient hâte de reprendre le cours de leur vie artistique après une saison avortée par la crise sanitaire.
Pour le deuxième programme de la saison, Bruno Bouché, directeur artistique de la compagnie, reprend le fil des Spectres d’Europe tissé dès 2018. « Pour la première édition, j’avais entamé une réflexion sur les chorégraphes européens avec une mention plus politique, en débutant avec un ballet de Kurt Jooss sur la guerre. On y trouvait déjà le spectre de la mort dans ce programme, même avec les lucioles ».
Trois pièces au programme
Le deuxième opus n’a jamais vu le jour, coronavirus oblige. On aurait dû y voir une pièce grand nom de la danse, William Forsythe, Enemy in the Figure. « Le ballet sera repris dans une ou deux saisons. Ce “Spectres d’Europe#3” parle, lui, de la mémoire autour de mythes. »
Bruno Bouché a choisi de mettre en regard trois pièces, dont l’une qu’il a signée, Bless ainsi soit-IL , déjà montrée en 2018, un petit bijou signé Angelin Preljocaj, Annonciation , qui fait son entrée au ballet, et Poussière de terre d’une jeune chorégraphe, Alba Castillo.
« Dans ma pièce, j’évoque le combat de Jacob avec un ange, dans un duo d’hommes. » Preljocaj, lui, met en danse un duo de femmes, la Vierge Marie et un ange également. « Ce ballet est né en 1995 à Lausanne, se souvient Claudia de Smet, assistante du célèbre chorégraphe, et créatrice du rôle de l’ange. Je l’ai dansé énormément avec la compagnie d’Angelin. Et j’ai toujours plaisir à le transmettre à d’autres danseuses. C’est une pièce difficile techniquement. Mon rôle, c’est qu’elles oublient la technique pour laisser place à l’interprétation. » Angelin Preljocaj est venu jeudi pour travailler avec les cinq danseuses qui alterneront dans la distribution afin de les guider.
La troisième pièce est une création d’une jeune chorégraphe de Bâle, Alba Castillo. « Je l’ai découverte lors d’une soirée dédiée aux jeunes chorégraphes à Bâle. Elle avait déjà un langage singulier, un rythme, une maîtrise de l’énergie », s’enthousiasme Bruno Bouché. Avec Poussière de terre , « Alba parle de la mémoire et du temps ». Un ballet à la scénographie soignée, soulignant un langage chorégraphique vif et lumineux.
I.G., le 18 octobre



Un Mozart double-face dansé pour Arte concert le 22 décembre
Le Ballet du Rhin termine l’année 2020 sur scène. Les deux danseurs-chorégraphes ont pu boucler « Danser Mozart au XXIe siècle » et une captation pour Arte concert, ce mardi 22 décembre, a « remplacé » le spectacle sur la scène de Colmar, initialement programmé.
Les spectateurs du Ballet du Rhin les connaissent danseurs. Ils les découvriront chorégraphes. Rubén Julliard et Marwik Schmitt sont les auteurs de ce spectacle, Danser Mozart au XXIe siècle, qui devait initialement être présenté à Colmar du 16 au 18 décembre. La situation sanitaire en a décidé autrement. Le ballet n’est pas mort pour autant. Il sera filmé et diffusé en direct ce mardi 22 décembre sur Arte concert et la page Facebook de l’Opéra national du Rhin, dès 19 h.
Une aubaine, même si ça ne remplace pas le public. « La captation, à l’heure actuelle, c’est assez nécessaire. C’est une vraie chance pour nous même si, quand on travaille de l’humain comme nous, c’est un peu compliqué », concède Marwik Schmitt. Pour Rubén Julliard, « la captation, c’est la cerise sur le gâteau après la résidence d’une semaine et les deux filages que nous avons pu faire. Mais il manque le contact avec le public, c’est certain. Quand on est sur scène, on ressent les réactions et l’énergie des spectateurs. »
Danseurs et chorégraphes
Les deux danseurs du ballet savourent quand même la chance de pouvoir encore exercer leur métier, dans des conditions semi-normales. Le Ballet du Rhin a mis en place des mesures de protection sanitaire depuis la fin du premier confinement, dès juin. Testés chaque semaine, les danseurs se sentent privilégiés dans cette année si compliquée pour la plupart de leurs amis danseurs : « Je me sens chanceux sur plein de points. Je connais des danseurs qui n’ont pas repris du tout. Moi, je suis quand même monté sur scène cette année », se réjouit Rubén Julliard.
D’autant plus chanceux que ce programme sur Mozart lui permet, ainsi qu’à Marwik Schmitt, d’ajouter une corde supplémentaire à son arc. Les deux avaient déjà créé des chorégraphies, l’un pour les Grands ballets canadiens (Marwik), l’autre au sein de l’ école Rosella Hightower (Rubén), mais jamais pour la compagnie alsacienne. « Bruno Bouché [directeur artistique du Ballet du Rhin] sait qu’on avait cette envie, on lui avait exprimé notre volonté de créer pour la compagnie », confie Marwik Schmitt.
L’angoisse de se confronter à Mozart
Pourtant, l’un et l’autre ont ressenti comme une angoisse à l’idée de s’attaquer à Mozart. « C’est impressionnant parce que c’est connoté, en danse. De grands chorégraphes ont déjà créé sur Mozart, comme Jiří Kylián par exemple. J’ai voulu me dissocier de ce qui avait déjà été utilisé en termes de morceaux musicaux. Ça nous a obligés à un gros travail de recherche ! Nous n’avions qu’une seule contrainte demandée par Bruno : avoir un Mozart dans la pièce », précise Marwik Schmitt.
Dans Amade , Rubén Julliard a choisi d’être narratif : « Je souhaite revenir sur la vie de Mozart, de sa naissance à sa mort. » Le musicien est confronté à tous ses tourments, symbolisés par les danseuses qui l’entourent. « J’ai recherché des pièces musicales moins connues, », même si on retrouve des extraits du Requiem. Sa pièce passe de la lumière à l’ombre, du tonnerre à la délicatesse.
La deuxième pièce, Gangflow , de Marwik Schmitt, évoque, lui, un Mozart sombre et s’affranchit même du musicien, en glissant un morceau de musique électronique dans sa pièce. « J’évoque les souvenirs des sœurs Weber que Mozart aurait pu avoir au moment de sa mort. Elle traite de la transition, du passage, de la réflexion sur soi. » Ses sœurs Weber sont fantomatiques, avec d’étranges protubérances, quand Mozart est, lui, une ombre torturée, dans une pièce à la lumière feutrée.
Les deux pièces mises bout à bout apparaissent aussi différentes que complémentaires, avec une transition « trouvée en une heure » particulièrement réussie. À voir donc ce mardi, en direct, sur Arte concert.
REGARDER Danser Mozart au XXIe siècle, à voir sur scène à Mulhouse les 13 et 16 février et Ostwald du 8 au 10 avril.
Par I.G. le 22 décembre 2020

Les deux pièces se rejoignent à la mort de Mozart. Photo L’Alsace/Dom POIRIER
Les deux pièces se rejoignent à la mort de Mozart. Photo L’Alsace/Dom POIRIER

La lumière est un des éléments du décor. Photo L’Alsace /Dom POIRIER
La lumière est un des éléments du décor. Photo L’Alsace /Dom POIRIER

Deux des quatre danseuses doivent composer avec des extensions d’elle-même, l’une portant deux manches de violon sur le dos, l’autre un dans la bouche. Photo L’Alsace /Dom POIRIER
Deux des quatre danseuses doivent composer avec des extensions d’elle-même, l’une portant deux manches de violon sur le dos, l’autre un dans la bouche. Photo L’Alsace /Dom POIRIER

La première partie de « Danser Mozart au XXIe siècle » est signée Rubén Julliard. Photo L’Alsace /Dom POIRIER
La première partie de « Danser Mozart au XXIe siècle » est signée Rubén Julliard. Photo L’Alsace /Dom POIRIER
Et pour 2021,
les ailes se déployent déjà...
